Richard Appréderis le peintre veveysan

Écrit le 1 avril 2019


Le 1 avril 2019

Exposition à Ballens VD, Galerie Edouard Roch


Richard Appréderis
Corps de femmes désarticulés
reconstruits tout en rondeurs

Richard Appréderis, le peintre veveysan, expose ses dernières peintures, en même temps que quelques travaux plus anciens, à la Galerie Edouard Roch à Ballens: une oeuvre passionnante, qui frappe fort, par la qualité et de l’originalité. L’exposition indique un parcours de vie qui aboutit à un style spécifique.


Richard Appréderis est né en France, à Saint-Georgesdes-Coteaux, en 1948. C’est pourquoi son passeport indique le nom d’Appréderisse. Mais c’est bien sous son appellation
germanique qu’il s’est fait un nom de peintre. Car il est originaire d’un petit village de Glaris. Glaronnais d’origine, son père travaillait dans l’hôtellerie et avait gagné la France, où
sa maîtrise de l’anglais et de l’allemand était appréciée. C’est pourquoi la première étape de la formation du garçon est l’Ecole Charpentier à Paris. Mais c’est à 19 ans que, passionné de dessin et de peinture depuis la tendre enfance, il a la révélation du métier, en entrant à l’Ecole des arts et métiers de Vevey. Il a la chance de rencontrer de magnifiques professeurs, comme Charles Cottet, le fameux peintre fribourgeois, et puis le peintre lausannois Jean-Marc Besson, qui lui enseigne le dessin, le créateur d’étiquettes Robert Héritier, enfin le sculpteur Frédéric Müller, avec qui il se lie d’amitié, et qui vint jusqu’à sa mort le trouver quasiment chaque jour en lui soumettant ses propres dessins… Le jeune artiste emmagasine un savoir et un savoir-faire qui lui resteront. Mais il commence vraiment à créer lors de son apprentissage en France dans un atelier de restauration d’oeuvres d’art dirigé par un artiste d’exception, Pierre Cadiou, qui était lui-même surréaliste (il fut, entre autres le maître de Leonor Fini).


Richard Appréderis se lance donc dans le surréalisme, qui marque ses premières peintures. Il ne les renie pas, même s’il y voit maintes maladresses. Mais cette veine surréaliste ne le quitte pas, et aujourd’hui encore, lorsqu’il lui en prend l’envie, il se met à dessiner et peindre un tableau surréaliste, «pour s’amuser».


C’est en 1977 qu’il change vraiment de style, qu’il se forge le langage personnel qui fait qu’on reconnaît ses oeuvres au premier coup d’oeil.

Il attribue cela à son exigence d’un travail bien fait: «Le peintre doit être chimiste, dit-il. Je fais tout moi-même, maîtrise tous les mediums, fabrique moi-même mes couleurs,
certaines mettent du temps à sécher, il faut savoir jouer avec.» Il a recours à une analogie parlante: «Une voiture doit être parfaitement entretenue. Si je roule à 200 à l’heure avec une poubelle, il y a des chances que je fasse des conneries. Mais si le véhicule n’a pas de défaut, cela va.» Apprédéris a appris son métier de peintre en regardant beaucoup les oeuvres des maîtres, à commencer par celles qu’il a restaurés. Ses premières amours allaient aux géniaux dessins de Géricault, qu’il copiait inlassablement, enfant. Puis il puisa chez les Hollandais, Vermeer et ses successeurs, chez Chardin, dans les aquarelles anglaises du XVIIIe, où il trouve un véritable surréalisme dans l’appréhension d’un réalisme poussé à l’extrême: c’est la goutte de rosée qui semble devoir s’évaporer dans le moment qui suit, le velouté de cette pêche qu’on aimerait manger…

Il n’éprouve guère le besoin de regarder les travaux de ses contemporains. Le travail dans son atelier suffit à remplir sa vie, cela l’occupe une douzaine d’heures par jour, car il se lève tôt – «quoi de plus beau que de peindre, dit-il, en écoutant de la musique russe, Rachmaninov, Chostakovitch…?».


Il s’agit d’une peinture figurative où le corps féminin apparaît comme l’unique sujet. Un corps désarticulé et reconstruit morceau par morceau, sensuel, fort, parfois violent, violant le regard par la seule énergie des moyens picturaux. Richard Appréderis se méfie de tout ce qui est gestuel, dans sa peinture, il passe des heures à étendre de fines couches, à fignoler un dégradé.

Cette peinture me fait penser aux compositions postcubistes du grand Vaudois Gustave Buchet, dans les années 1920, ce n’est pas vraiment l’avant-garde, mais qu’est-ce que l’avant-garde aujourd’hui ? Les niaiseries de Nara ou de Murakami (Takashi)? Les images resassées de Doig? Allons donc, où est le style, où est l’homme?


Chez Richard Appréderis, on a affaire à une puissante entité picturale, qui vient du fond. C’est un artiste foncièrement sincère, comme dit son ami Maurice Cand. Ses créations
sont frappées du sceau de l’originalité, d’une imagination de tous les instants, d’un métier accompli qui cherche autant les équilibres que les déséquilibres, rythmant ses couleurs en grand poète. On n’échappe pas à la force de cette peinture où néanmoins j’aime déceler un certain humour, si ce n’est le caractère interrogateur des regards.


Or ce regard s’est un peu adouci lors des dernières compositions d’Appréderis, dont la vie personnelle pourrait se lire en filigrane de sa peinture: nous avons passé d’un travail au couteau, sentant la révolte, à une peinture plus apaisée, au pinceau.


P.H.

pharts magazine

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